Prise de parole 13.03.2024

mars 13, 2024

Votre Commission des affaires juridiques a procédé le 9 janvier dernier à l’examen de l’initiative du canton de Genève et à celui d’un rapport du Conseil fédéral portant sur un objet similaire, celui de l’intégration des impôts courants dans le calcul du minimum vital.
Actuellement, en effet, le calcul du minimum vital au sens du droit des poursuites ne tient pas compte des impôts courants. Concrètement, le minimum vital est surtout déterminant dans le contexte de la saisie de salaire. Celle-ci n’a pas vocation à assainir la situation du débiteur, mais vise à désintéresser les créanciers saisissants. L’office des poursuites saisit la part du salaire excédant le minimum vital d’un débiteur pour la répartir entre les créanciers qui ont requis la continuation d’une poursuite engagée contre ce dernier. Le minimum vital se calcule en général par référence aux lignes directrices de la Conférence des préposés aux poursuites et faillites de Suisse. En vertu de ces lignes directrices et de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les impôts courants n’entrent pas dans le calcul de ce minimum vital. Les lignes directrices ainsi que la pratique des offices des poursuites et du Tribunal fédéral sont régulièrement sous le feu des critiques. La procédure de saisie en cours crée en effet de nouvelles dettes fiscales, ce qui conduit à l’impossibilité pour les personnes concernées de se libérer du piège de l’endettement.
Ces critiques ont fait l’objet de nombreuses interventions dans notre Parlement. Permettez-moi de vous en mentionner trois: la plus ancienne, la question 05.1112, déposée en 2005 par Alain Berset, alors conseiller aux Etats; l’initiative parlementaire 12.405, déposée en 2012 par notre collègue Mauro Poggia, alors conseiller national; ainsi que le postulat 18.4263, déposé en 2018 par la conseillère nationale Gutjahr, sur lequel je reviendrai tout à l’heure.
Ce sont ces mêmes critiques qui ont conduit le Grand Conseil du canton de Genève à déposer il y a une année l’initiative qui nous est soumise aujourd’hui. Toutes les interventions demandaient, et demandent aujourd’hui encore, au Conseil fédéral de revoir l’article 93 de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) pour permettre la prise en compte des impôts courants dans le minimum vital.
Si ces demandes ont été régulièrement renouvelées durant presque deux décennies, c’est que le Conseil fédéral a longtemps été réticent à entreprendre une telle révision. Il soulignait en effet que, s’il comprenait le problème évoqué, il restait de nombreuses questions ouvertes à examiner prioritairement. Aujourd’hui, cet examen a été fait. Le Conseil fédéral l’a fait en parallèle, en lien avec deux objets.
Il l’a fait tout d’abord à la suite de travaux d’experts dans le cadre d’un avant-projet de modification de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite mis en consultation en juin 2022. Cette révision a pour but de permettre sous certaines conditions aux particuliers endettés de prendre un nouveau départ en instituant dans la loi une procédure d’assainissement pour les personnes physiques. L’avant-projet ayant bien été reçu en consultation, l’adoption du message est attendue pour cette année.
Le Conseil fédéral l’a également fait dans son rapport du 1er novembre 2023 en réponse au postulat Gutjahr que j’ai mentionné tout à l’heure, rapport que votre commission a examiné lors de sa séance du 9 janvier dernier. Dans ce rapport le Conseil fédéral s’est penché en détail sur la question de la prise en compte des créances fiscales dans le calcul du minimum vital. Le rapport constitue un état des lieux complet de la thématique et indique les pistes de solution possibles. Dans ses conclusions, le Conseil fédéral indique comprendre parfaitement l’enjeu d’une telle prise en compte et être ouvert à une adaptation de l’article 93 LP. Il considère cependant, et je cite: « indispensable que le Parlement formule un mandat clair ».
C’est ce mandat clair que votre commission vous prie aujourd’hui d’approuver. Deux voies étaient possibles pour le concrétiser: l’acceptation de l’initiative du canton de Genève ou le dépôt d’une motion. Votre commission a privilégié la voie de la motion, car elle l’estime plus appropriée et plus rapide, compte tenu des travaux déjà effectués par le Département fédéral de justice et police. C’est dès lors à l’unanimité qu’elle vous propose de charger le Conseil fédéral de préparer un projet de révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, afin d’intégrer les impôts courants dans le calcul du minimum vital.
S’agissant des modalités de mise en oeuvre et outre, bien sûr, le fait que le paiement des impôts en question doit être assuré, la seule cautèle que la commission a voulu mentionner dans le développement de la motion est la nécessité de prévoir un régime spécial pour les créances d’entretien du droit de la famille. La commission n’a, en revanche, pas souhaité à ce stade privilégier d’option pour la concrétisation de la norme légale, estimant que la décision devait résulter d’une évaluation à faire par l’administration fédérale, avec les offices de poursuite et les autorités fiscales cantonales. Le rapport en réponse au postulat Gutjahr indique deux solutions possibles à ce sujet: celle du calcul par référence au barème d’imposition à la source ou celle de la gestion fiduciaire du montant des impôts. L’objectif doit être, de l’avis de la commission, de trouver la meilleure solution sous l’angle de la praticabilité, raison pour laquelle elle a laissé la question ouverte.
C’est avec ces considérations que votre Commission des affaires juridiques vous propose, à l’unanimité, d’accepter la motion et, pour cette raison, de ne pas donner suite à l’initiative du canton de Genève.

Si personne d’autre ne s’exprime, j’aimerais juste préciser un élément afin de sauver un peu l’honneur du Conseil fédéral. La motion Hêche 18.3510, « Permettre la réinsertion économique des personnes sans possibilités concrètes de désendettement », n’est pas de 2013 comme indiqué par notre collègue Sommaruga, mais de 2018. Elle a été traitée par le Conseil national en 2019. Le Conseil fédéral n’a eu besoin que de quatre ans afin de mettre en consultation un projet de loi.