Prise de parole 12.09.2024

septembre 12, 2024

Je commencerai par la fin: la commission vous propose à l’unanimité d’entrer en matière et d’adopter le projet de loi qui vous est soumis avec deux modifications par rapport à la décision du Conseil national.
L’objectif de la révision est clair: il s’agit de créer une base légale dans la loi fédérale sur l’encouragement de la recherche et de l’innovation (LERI) afin de pouvoir répondre de manière adéquate aux besoins de développement territorial du Cern tout en assurant la compatibilité de ce développement notamment avec les objectifs de la politique suisse de la recherche, d’Etat hôte, d’environnement et d’aménagement du territoire. Et la solution trouvée est celle de l’élaboration par la Confédération d’un plan sectoriel conforme à la loi sur l’aménagement du territoire pour les projets du Cern ayant des effets considérables sur le territoire et sur l’environnement.
Mais reprenons depuis le début. Créé en 1954 en tant qu’organisation intergouvernementale dont le siège est en Suisse, dans le canton de Genève, le Cern participe depuis 70 ans au rayonnement de la Suisse, qui en tire des avantages considérables du point de vue scientifique, industriel et économique. En 1955, le Conseil fédéral a conclu avec lui un accord de siège réglant son statut ainsi que les privilèges et immunités qui lui sont reconnus en Suisse. A cheval sur la frontière franco-suisse, le Cern est le plus grand centre de recherche fondamentale en physique au monde. Sa mission est de mieux comprendre la composition et le fonctionnement de l’univers, notamment en mettant à la disposition des chercheuses et chercheurs du monde entier les infrastructures qu’il construit et exploite. Outre son apport scientifique considérable, les retombées économiques de la présence du Cern en Suisse sont importantes, particulièrement pour la région genevoise et la région française voisine: chaque franc investi au Cern en rapporte 5 à 7 à l’économie régionale.
Faut-il rappeler que le Cern a contribué ou est à l’origine de plusieurs percées scientifiques et technologiques aujourd’hui essentielles, dont le « World Wide Web », la découverte du boson de Higgs, ou la protonthérapie contre le cancer, qui est un peu moins connue? Il forme par ailleurs de nombreux ingénieurs et scientifiques qui nourrissent les besoins AB 2024 S 762 / BO 2024 E 762 en main-d’oeuvre qualifiée des milieux académiques et industriels dans toute l’Europe, et naturellement en Suisse. Il collabore en effet avec une vaste communauté d’utilisateurs, comprenant plus de 12 000 scientifiques issus d’instituts de plus de 70 pays. C’est dire si le Cern, au sein duquel collaborent environ 2500 personnes issues de 110 nationalités, contribue au maillage européen et mondial des chercheurs suisses, ainsi qu’au rayonnement de la Suisse et de la Genève internationale.
Pour sonder la structure fondamentale de la matière qui compose tout ce qui nous entoure, le Cern utilise les instruments scientifiques les plus grands et les plus complexes du monde, à l’exemple du grand collisionneur de hadrons (LHC), le plus grand et le plus puissant accélérateur de particules du monde, qui a permis d’apporter la preuve de l’existence du boson de Higgs en 2012, dont vous pouvez voir une illustration si vous regardez attentivement un billet de 200 francs. Mais le Cern prépare aussi le futur à long terme et étudie différents projets en fonction des développements scientifiques et technologiques. Parmi ceux-ci, des travaux d’amélioration du LHC sont en cours et devraient aboutir en 2040. Il y a aussi la préparation d’un nouvel accélérateur, dont l’objectif est d’affiner le modèle actuel de notre description de l’univers et d’entrevoir les contours d’une nouvelle physique, qui fait l’objet d’une étude de faisabilité technique et financière. La faisabilité de tels projets de portée internationale, cruciaux pour la place scientifique suisse et européenne, ne peut être assurée qu’à travers un accompagnement étroit des autorités genevoises et suisses, ainsi qu’avec des procédures en matière d’aménagement du territoire bien cadrées, qui permettent d’être prévisibles sur la durée et la complexité des procédures.
C’est à cette fin que le Conseil d’Etat du canton de Genève a demandé le soutien de la Confédération et a proposé le recours à un plan sectoriel au sens de la loi sur l’aménagement du territoire. Le Conseil fédéral a répondu positivement à cette demande et a chargé le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche d’élaborer un tel plan centré sur les projets de développement majeurs du Cern, avec notamment l’octroi de la compétence d’approbation des plans.
Pour rappel, le plan sectoriel fédéral au sens de l’article 13 de la loi sur l’aménagement du territoire est le principal instrument de planification dont dispose la Confédération pour coordonner ses activités à incidence spatiale, entre elles et avec celles des cantons et des régions limitrophes des pays voisins. Un plan sectoriel permet en particulier de clarifier et de faciliter les procédures administratives en matière d’aménagement du territoire et d’améliorer la sécurité de la planification. L’élaboration d’un tel plan, comme la compétence d’autoriser les constructions par le biais d’une procédure d’approbation des plans, nécessitent cependant un ancrage légal et c’est ce qui nous est soumis ce matin avec le projet.
Le Conseil fédéral propose en effet d’ancrer cette procédure spéciale de plan sectoriel dans la révision de la LERI, cela après avoir examiné quatre variantes possibles. Outre celle qui nous est proposée, il a examiné l’intégration de cette procédure dans la loi sur l’Etat hôte, dans la loi sur l’aménagement du territoire, voire dans une nouvelle loi spéciale. L’actuel article 28 de la LERI prévoyant déjà la possibilité pour la Suisse de participer à la mise en place et à l’exploitation d’installations de recherche internationales et d’infrastructures de recherche, c’est ce rattachement qui a été retenu, à l’image de ce qui a été fait pour d’autres plans sectoriels fédéraux. Le Conseil fédéral propose ainsi au Parlement d’introduire dans la loi une nouvelle section détaillant la procédure d’approbation des plans au niveau fédéral.
La consultation sur la modification de cette loi s’est déroulée de la mi-mars à la mi-juin 2023. Le projet a été accueilli favorablement, notamment par les cantons qui ont reconnu l’importance du Cern pour notre pays et la nécessité de se doter des instruments légaux et d’aménagement du territoire permettant son développement pérenne.
Nous sommes le second conseil. Le Conseil national a adopté le projet de loi sans modification, suivant en cela l’avis de la majorité de sa commission, à la suite des auditions du Conseil d’Etat genevois et des représentants du Cern. Lors de la séance du 18 juin dernier, votre commission a procédé à l’examen du projet en présence du chef du département et de représentants de l’administration qui ont répondu aux nombreuses questions et remarques. Permettez-moi d’en relever deux: la question du risque de précédent et celle du respect des normes en matière d’environnement, de protection de la nature et du climat. Sur ces deux points, le chef du département a confirmé la limitation du plan sectoriel aux seuls besoins stratégiques du Cern, ainsi que la réalisation d’une étude d’impact à tous les niveaux, ce qu’il avait déjà indiqué devant le Conseil national.
Suite à l’examen du projet, c’est à l’unanimité que votre commission vous propose d’entrer en matière. Outre les arguments liés à l’importance du Cern en tant qu’institution internationale de recherche et le rôle spécifique que la Suisse joue dans cette organisation, la commission considère que la modification proposée est adéquate, puisqu’elle permet la construction de nouvelles infrastructures de recherche à cheval sur les territoires suisses et français, tout en conciliant compétences cantonales et fédérales. C’est pour délimiter avec davantage de clarté encore le champ de compétences de l’autorité fédérale d’approbation des plans que votre commission vous propose deux modifications aux articles 31a et 31k. Il s’agit en particulier de mettre un « et » à la place d’un « ou » à l’article 31a, afin de mieux souligner qu’il faut à la fois avoir un développement territorial et une importance stratégique pour que la compétence d’approuver les plans revienne à la Confédération; seul ce cas de figure cumulatif donne lieu à un changement dans les règles habituelles de répartition de compétences entre la Confédération et les cantons.
C’est avec ces arguments que je vous prie, au nom de la commission, d’entrer en matière et d’adopter le projet de loi avec les deux propositions de la commission aux articles 31a et 31 k.