Je souhaite m’exprimer sur un des piliers du concept, comme l’a indiqué notre collègue Zopfi, à savoir la coopération internationale, et plus particulièrement l’aide au développement, à laquelle le concept qui nous est soumis permet d’apporter une solution.
L’ordre mondial tel que nous le connaissions depuis des décennies vacille – cela a déjà été dit lors de ce débat. L’Europe est à nouveau en guerre, le Moyen-Orient également. Les conditions météorologiques extrêmes dues au changement climatique et les grands mouvements migratoires suscitent des inquiétudes pour l’avenir. Dans cette situation, nous devons être du bon côté de l’histoire, nous devons soutenir l’Ukraine. Nous devons cependant également garder à l’esprit la situation sécuritaire et la défense de la Suisse. Nous devons rester capables d’agir et être crédibles et fiables dans le cadre des négociations internationales. Or, à ce propos, nous sommes sur le point de commettre une erreur stratégique que nous regretterons beaucoup – je le crains – à moyen terme, si nous ne soutenons pas le concept de la majorité.
Le Conseil fédéral, et je reviens sur les débats que nous avons menés lors de la dernière session, a recommandé de financer la solidarité avec l’Ukraine à partir du crédit-cadre de la coopération internationale. Cela entraîne une réduction massive de l’aide au développement et de l’aide humanitaire. Le Conseil fédéral tente également de répondre aux exigences internationales en matière de financement pour le climat et se sert ici aussi du crédit-cadre de la coopération internationale au lieu, et cela peut encore venir – je le souhaite -, de proposer des voies de financement innovantes avec un effet incitatif. Nous montrons un taux d’aide publique au développement certes en hausse, mais nous savons très bien que c’est uniquement parce que nos coûts pour l’asile ont augmenté, contrairement à ceux consacrés à l’aide aux pays les plus pauvres.
Nous sommes en train, au fur et à mesure, de démanteler de plus en plus notre tradition humanitaire et notre engagement pour la lutte contre la pauvreté et pour la paix dans le monde. Qu’en plus de tout cela des voix s’élèvent au Parlement pour demander de nouvelles coupes massives supplémentaires dans la coopération internationale et l’aide au développement est pour moi incompréhensible. C’est vrai, je le reconnais, qu’il est difficile d’aménager le budget 2025 de manière juste. Cependant, nous ne devons pas le faire sur le dos des pays les plus pauvres. Le financement climatique représente 1,6 milliard de francs, le soutien à l’Ukraine, 1,5 milliard de francs, soit, pour la prochaine période, 27 pour cent du budget total de la coopération internationale. Or, maintenant, nous avons des propositions de réduction allant, si on suit le Conseil national, jusqu’à 1 milliard de francs, soit 250 millions par an. Comment le justifier? Quel signal envoyons-nous ainsi au monde? Voulons-nous vraiment une politique « Switzerland first » sans considération? Ne voulons-nous pas conserver et renforcer nos bons offices et notre rôle de médiation?
Comme beaucoup de personnes de cette assemblée, je m’engage dans l’action caritative. Je déclare ainsi également mes liens d’intérêts: je suis membre du conseil de fondation de l’oeuvre suisse Action de Carême. Grâce à cet engagement, je vois concrètement les conséquences de ce dont nous discutons ici de manière un peu abstraite. Le simple fait de réaffecter des fonds de développement à l’Ukraine entraîne le retrait d’organisations dans des pays et des régions entières. L’Action de Carême, par exemple, est contrainte de suspendre son travail de lutte contre la faim au Laos, un pays extrêmement pauvre où des dizaines de milliers de personnes vivant dans la pauvreté doivent être abandonnées, alors qu’elles étaient en train de se libérer durablement de la pauvreté et de la faim. Alors que le G20 programme une alliance contre la faim et que la FAO ainsi que le Programme alimentaire mondial tirent la sonnette d’alarme, allons-nous sérieusement annoncer un retrait majeur de la Suisse de l’aide internationale?
Le crédit-cadre de la coopération internationale et le budget 2025 nécessitent une marge de manoeuvre suffisante pour que l’on puisse travailler efficacement, en tenant compte de la situation mondiale, en faveur de la sécurité, de la stabilité et de la lutte contre la pauvreté. A l’instar de nos collègues Maillard et Zopfi, je crois que la proposition de la majorité nous donne encore la possibilité de travailler de manière concrète et suffisante, mais aller au-delà dans les coupes ne le permettrait plus. C’est pourquoi je vous demande instamment de rejeter les propositions de la minorité ainsi que la proposition individuelle Salzmann, qui vont loin, beaucoup trop loin.
Je souhaiterais dire que, contrairement à toutes les affirmations erronées concernant la coopération au développement, la vérité est qu’elle a fait ses preuves en de nombreux endroits, qu’elle est indispensable et qu’elle a bonne réputation. Dans de nombreuses régions du monde, la pauvreté a pu être durablement repoussée. Une agriculture adaptée aux conditions locales combat durablement la faim. L’exclusion et la discrimination des femmes sont réduites grâce à l’information et au renforcement des droits des femmes. La proportion d’enfants sous-alimentés, d’analphabétisme et de mortalité infantile diminue. Ce sont là les résultats d’un travail de longue haleine dans le domaine de l’aide au développement, et la Suisse peut être fière de ce qu’elle fait. L’aide que nous apportons, selon notre tradition humanitaire, est plus qu’un devoir moral. C’est aussi un engagement pour plus de stabilité globale et pour les intérêts de la société et de l’économie suisses. Si les gens manquent de perspectives, cela crée les bases de l’extrémisme et du fondamentalisme. Ce sont des aspects à prendre aussi en compte lorsque l’on parle de sécurité. Si la Suisse coupe et économise de manière disproportionnée dans la coopération internationale, elle diminue son influence politique sur le plan international. Nous sommes moins écoutés. Nous devenons moins importants en tant que lieu d’implantation d’organisations et d’entreprises internationales, d’autres pays se profilant avec leurs bons offices, l’arbitrage des conflits et la neutralité comme avantage. Il existe aussi une concurrence dans l’implantation. C’est pourquoi, chers collègues, je vous demande de prendre un peu de distance et d’examiner les propositions qui nous sont soumises. Nous verrons alors que la mise en oeuvre de tels coupes et redéploiements se terminera mal, et que toute nouvelle réduction serait irresponsable si elle devait aller plus loin que celle proposée par la majorité de la commission. Je vous demande, dès lors, de soutenir la proposition de la majorité de la commission et de rejeter les propositions de minorités et la proposition individuelle.
Je ne souhaitais pas compléter ce qu’a dit notre collègue Stocker, mais il me paraît important de préciser un élément: les montants qui figurent dans la proposition de la majorité sont ceux que nous avions adoptés en septembre dernier, alors que le budget était déjà déposé par le Conseil fédéral. Il s’agissait dès lors de mettre à jour les chiffres. Il était question – et c’est la seule augmentation dans l’ensemble du message culture que nous avons approuvée en vote final – d’un montant d’un demi-million de francs pour des réseaux de tiers. Le premier réseau de tiers – cela a été mentionné – émanait des motions Jositsch 21.3172 et Heer 21.3181 et concernait le mémorial pour la Shoah. Ici, une collaboration doit se faire avec un canton de Suisse orientale, probablement le canton de Saint-Gall, qui a indiqué être intéressé par la mise sur pied d’un projet qui lie les différents pays au-delà des frontières, ce qui me paraît vraiment souhaitable. Pour le deuxième, et c’est là que je dois corriger notre collègue Stocker: il ne s’agissait pas de la motion de notre collègue du Conseil national Pult. Il faut rendre à César ce qui est à César, ou plutôt ici à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre: c’était la motion Streiff-Feller 19.3627, que nous avions transformée dans ce conseil. Mme Streiff-Feller voulait un musée sur l’histoire des femmes, et nous en avons fait un réseau de tiers, en indiquant qu’il fallait collaborer avec les institutions déjà existantes. Le montant qui est prévu au budget permettrait effectivement d’élargir la mission des réseaux de tiers.
C’est pour cela que je vous invite à suivre la majorité.